Cannabis : le modèle canadien inspire des élus danois
En devenant le premier pays du G7 à légaliser le
cannabis à usage récréatif, le Canada attire l'attention partout dans le monde. Au Danemark, 5 des 9 partis politiques représentés au Parlement sont prêts à aller de l'avant. Des élus veulent s'inspirer du modèle canadien.
Un texte de Louis Blouin, envoyé spécial au Danemark.
« Je suis un peu jalouse qu’au Canada on ait pu faire passer cette loi », lance d’entrée de jeu la députée Christina Egelung de l’Alliance libérale. Son parti est en faveur de la
légalisation du
cannabis à usage récréatif. Elle affirme que la décision du Canada a relancé le débat au Danemark.
On a suivi avec grand intérêt le débat que vous avez eu au Canada.
Christina Engelund, députée de l’Alliance libérale danoise.
De manière réaliste, Christina Egelund croit que le changement pourrait avoir lieu d’ici cinq ou six ans dans son pays. Pour l’heure, seul le
cannabis à usage thérapeutique est légal.
Les résultats de l’expérience canadienne permettront de déboulonner des mythes qui persistent dans la société danoise, estime Mme Egelund. « Est-ce que ça va amener plus de dépendance, par exemple? », s'interroge-t-elle, évoquant l’une des inquiétudes exprimées par les opposants à la réforme.
Selon Christina Egelund, la
légalisation permettrait de contrôler « la qualité des produits vendus et aussi à qui ils sont vendus. Par exemple, jamais aux enfants ».
Cet argument a de quoi rappeler ceux utilisés par Justin Trudeau au Canada. Et la députée de l'Alliance libérale n’est pas la seule à tenir des raisonnements semblables à ceux du premier ministre canadien.
« Nous devrions retirer ce marché des mains des criminels », affirme Jonas Bjørn Jensen, conseiller municipal de la ville de Copenhague. Il milite en faveur d’un projet pilote de trois ans pour légaliser le
cannabis sur le territoire de la capitale. Une idée que défend aussi le maire de la ville.
Jonas Bjørn Jensen est conseiller municipal à Copenhague. Il milite en faveur d'une
légalisation sur le territoire de la capitale danoise. Photo : Radio-Canada/Stéphane Richer
Dans le quartier Nørrebro, où le conseiller habite avec ses enfants, la violence augmente en raison du trafic de drogues. « Je ne veux pas vivre dans un quartier où les gens se tirent dessus », fait valoir le jeune élu. D’après lui, la
légalisation du
cannabis affaiblira les bandes criminelles en les privant de leurs profits.
L’approche canadienne influencera les décideurs danois, croit Jonas Bjørn Jensen, puisque les deux pays ont des mentalités et un mode de vie semblables.
Si ça fonctionne au Canada, ça peut aussi fonctionner à Copenhague.
Jonas Bjørn Jensen, conseiller municipal de Copenhague.
D’ailleurs, la capitale danoise n’en est pas à sa première expérience avec le
cannabis. Dans le quartier de Christiania, la vente est tantôt tolérée, tantôt réprimée depuis des décennies. Les transactions se font en pleine rue.
Albert Hatchwell Nielsen gère une boutique de planches à roulettes dans le secteur. Le moment est venu, selon lui. « Ça fait 60 ans qu’on fait une guerre qui ne peut pas être gagnée », souligne-t-il.
« Ça ne fait de mal à personne. [...] C’est seulement une plante », ajoute-t-il.
Une murale dans le quartier de Christiania à Copenhague, où la vente de
cannabis est tantôt tolérée, tantôt réprimée. Photo : Radio-Canada/Louis Blouin
Résistance et obstacles
La majorité des partis qui composent la coalition de droite au pouvoir demeurent froids à l’idée de légaliser le
cannabis à usage récréatif.
Le niveau d’appui varie d’une région à l’autre. « Vous pourriez obtenir un soutien dans les grandes villes, mais si vous allez en campagne, je ne pense pas que beaucoup de gens sont en faveur », explique Martin Geertsen, du Parti libéral danois (Venstre), opposé à la
légalisation.
Je ne crois pas que ce soit un enjeu prioritaire en ce moment.
Martin Geertsen, député du Parti libéral danois (Venstre).
Il ajoute que les organisations policières ont beaucoup d’influence dans le pays et qu'elles ont un point de vue très arrêté sur la question. « Est-ce que la
légalisation permettrait de réduire la criminalité dans la société danoise? Leur réponse est non », explique le député.
D’après lui, si ce n’est pas le
cannabis, les criminels trouveront une autre façon de gagner de l’argent. « Ce n’est pas un argument valable », fait-il valoir.
Le débat ne se limite pas à la sphère politique. Dans un petit café au style épuré, des résidents de Copenhague débattent de la question.
Rikke Larsen, une femme dans la cinquantaine, résume les raisons qui la font pencher en faveur d’un marché récréatif légal : « Si on arrive à se débarrasser des bandes criminelles, et le gouvernement va avoir encore plus d’argent. »
« C’est dans un avenir proche, mais pas pour demain », pense-t-elle, en raison de la résistance d’un segment plus conservateur de la population danoise.
Sarah Dubord-Gagnon, une Québécoise qui demeure à Copenhague, croit que c’est l’argument économique qui finira par convaincre les politiciens danois. S’ils ont les infrastructures pour en tirer des profits, « je ne vois pas pourquoi ils ne mettraient pas ça à l’ordre du jour », croit-elle.
C’est une question de temps et c’est une question de volonté.
Sarah Dubord-Gagnon, résidente de Copenhague.
Son mari, Thomas Foght, est journaliste. À l’image d’une partie de la société danoise, il est encore sceptique. « Les gens veulent voir des résultats avant de prendre leur décision finale. Ils veulent voir l’expérience d’autres pays », observe-t-il.
Comme plusieurs politiciens danois, il continuera de suivre avec attention les premiers mois de la
légalisation au Canada.