Catégorie : Opinion - 13 mai 2023 à 21:18
#dépression #médecine #opinion #pap #psychédéliques #thérapeutique
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CPartiEnCouilles a écrit
Salut,
J'avais pu voir il y a quelques années un ancien vétéran de la guerre en Afrique, assisté par des médecins sur une thérapie avec de la MDMA sur son stress post-traumatique. Les résultats étaient plutôt positifs.
C'était un documentaire sur la chaîne Vice je crois mais je ne me souviens plus donc à prendre avec quelques pincettes.
En tous cas, je vais sûrement revenir sur ce post plusieurs fois pour bien tout assimilé.
Merci pour le partage
Bien à toi.
Salut CpartienCouilles merci pour ton retour.
Oui ils ont de plus en plus nombreux aux usa a recevoir ce type de traitement pour soigné les Syndromes de Stress post trauma, notamment graçe à Rick goblin de la maps que je cite plus haut. On peut également voir un de ces vétérans militer pour l'association dans le doc que je cite "voyage aux confins de l'esprit", celui sur la MDMA j'ignore si c'est ce doc que tu as vu.
Après je tiens à préciser que ni chambon ni moi ne détenons une quelconque vérité et que l'ensemble de ce billet ne reste qu'une "vue de l'esprit" dans le sens ou c'est la manière dont nous percevons la chose et dont nous interpretons les études mais sans tenter de s'imposer en quoi que soit ^^.
Je ne sais pas si vous connaissez "l'alégorie de l'éléphant" mais elle met parfaitement en lumière ce que je veux dire.
Avertissement : pavé de 7 pages sous word. A réserver aux plus motivés^^
Un grand merci à toi Ergot. Pour ton article approfondi, et pour l'invitation à la discussion qui l'accompagne. Le sujet de la psychothérapie me passionne depuis mon adolescence, et celui des psychédéliques m'a toujours intrigué. Alors, un article sur le livre d'un psychiatre et psychothérapeute qui noue les deux, je suis au paradis :)
Mais je suis un peu embêté du commentaire que je m'apprête à faire, car il va être critique. Et je ne voudrai pas donner l'impression de mal recevoir ton travail, car il m'inspire beaucoup, et que je t'en suis reconnaissant. C'est pas tous les jours que j'ai l'occasion d'écrire sur mes centres d'intérêt, et que je suis bien heureux que tu m'en donnes l'occasion. Ton résumé me semble fidèle, il colle à ce que j'ai entendu Olivier Chambon dire lors de ses interventions publiques. Mes critiques visent certains points du discours de Chambon, et pas du tout ton article.
Par ailleurs, j'ai spontanément beaucoup d'estime pour Chambon. Un psychiatre qui accorde tant d'importance à la dimension subjective, qu'il va jusqu'à oser affirmer publiquement que la dimension objective est un produit de la vie subjective, ça mérite mon soutien. Une telle assertion peut paraître totalement farfelue dans les domaines techniques, quand on veut produire des médicaments ou des smartphones, mais elle me semble tout à fait opérante dans le domaine humain, quand on veut conduire une psychothérapie, travailler sur la dimension psychique d'un sevrage, ou même seulement nouer des liens avec nos semblables.
Bref, j'aime bien Chambon. Il a l'air sympa, ouvert, et enthousiaste. Je m'y intéresse de plus en plus. J'ai pas encore lu son livre, juste ton article, et écouté quelques interventions publiques sur youtube. Mais c'est justement au sujet des points où il ne me semble pas fidèle à ses convictions sur la dimension subjective que je vais le critiquer. Je vais poser deux objections :
- Sur la catégorisation des produits qui est proposée, en particulier l'exclusion des psychédéliques de la catégorie "drogue".
- Sur la conception de la psychose et du délire qui est véhiculée.
Je sais que c'est surtout la 2e qui t'intéresse, mais je ne peux pas attaquer directement par là. Il devrait y avoir une certaine articulation entre les deux. Aujourd'hui, on fait la première, la catégorisation des produits et l'exclusion des psychédéliques de la catégorie "drogue". Parce qu'on est sur psychoactif, et que là, le discours de Chambon nous enfonce.
Les drogues, elles, peuvent être classées en deux familles :
- Celle des substances qui accélèrent ou amplifient certaines fonctions psychobiologiques normales (comme l'attention, la rapidité de pensée, l'éveil, etc.); ce sont les « speeds» ou «stimulants», « nootropiques », comme la caféine, la cocaïne, la nicotine, les amphétamines
- Celle des substances qui modifient dans un sens opposé les mêmes fonctions psychobiologiques, en les ralentissant ou en les réduisant; ce sont les «sédatifs», les « calmants », comme les opiacés (dont fait partie l'héroïne), les benzodiazépines (exemple : Valium) et I' alcool.
Les psychédéliques font partie d'une autre famille de substances: celle qui modifie la qualité de la conscience plutôt que de produire une accentuation ou une réduction des processus mentaux.
[...]
Par contraste, les produits appartenant aux deux premières familles (les drogues) produisent des effets semblables chez différentes personnes ou chez une même personne à différents moments.
Les PDL sont donc des « médicaments » (car entrainannt un impact thérapeutique positif) efficaces et puissants, n'entraînant pas de dépendance physique.
Il peuvent être employés avec sécurité pour l'organisme et l'esprit, moyennant le respect de précautions et d'utilisations bien précises.
Un psychédélique n'est pas une drogue ! (par définition même)
Je suis en complet désaccord avec cette présentation des choses.
I. Sur la classification des drogues et médicaments
Pour commencer, restons objectif et rationnel, autant qu'on peut...
a/ Déjà, cette séparation en 3 familles selon l'action sur fonctions psychobiologiques (accélérateurs, ralentisseurs, et modificateurs), me semble une pure abstraction, une simplification outrancière, mal fondée cliniquement. Je parle ici de "clinique psychique", celle qui s'appuie sur le vécu des personnes. Et en matière de psychothérapie, c'est la seule boussole dont nous disposons.
Ces 3 familles peuvent éventuellement décrire des catégories d'effets psychotropes, mais certainement pas être rattachées formellement à des substances précises.
Certes, ça peut être pratique de parler de stimulants/accélérateurs et de sédatifs/ralentisseurs pour rassembler des produits différents dans un même groupe afin de mettre de l'ordre dans son armoire à pharmacie ou d'organiser les discussions en différents sous-forums. Mais à mon avis, quand il s'agit de clinique et de thérapie, on devrait parler substance par substance, pour rester rigoureux et éviter les généralisations trompeuses. Ca parait évident quand on parle dosage, pourquoi serait-ce différent lorsqu'on parle effets des produits ?
Les effets euphorisants et désinhibants de l'alcool sont largement connus, et collent mal à une définition qui le réduirait à un simple "sédatif" ou un "calmant". Beaucoup d'amateurs l'utilisent au contraire comme un "stimulant". Quand on ouvre une bonne bouteille pour l'apéro, c'est rarement pour endormir nos convives.
Contrairement aux idées reçues, les benzos aussi peuvent avoir des effets "stimulants". Quand on est inhibé par l'angoisse, un léger anxiolytique peut diminuer cette inhibition, et au final, avoir un effet plutôt "accélérateur". La personne retrouve la capacité à dire et à faire des choses, alors qu'elle serait paralysée par son vécu intérieur sinon.
On pourrait aussi donner l'exemple des effets hallucinogènes des ZDrugs, qu'on risque de complètement oublier si on les réduits à de simples "sédatifs".
A l'inverse, certains consommateurs de cocaïne ou de speed décrivent un effet "calmant", contrairement à l'idée reçue. Ca les pose, et ça leur permet de se concentrer. La corrélation avec un diagnostic TDAH n'est pas systématique : on peut ressentir un effet calmant sans vivre avec un TDAH, et vivre avec un TDAH sans ressentir cet effet calmant.
Par ailleurs, de nombreux auteurs semblent trouver l'inspiration grâce à l'alcool ou aux opiacés, ce qui témoigne de leur effet "modificateur de conscience". Ca n'est pas un effet de même nature que les psychédéliques, mais si un produit permet de libérer la parole et les idées, si il peut stimuler l'imagination jusqu'aux plus folles inspirations, il me semble dommage de le réduire à un simple sédatif, et de lui dénier d'emblée tout intérêt en psychothérapie.
Je ne dis rien de très original, et je n'apprends rien à personne avec ces remarques. Les contre-exemples à cette séparation en 3 familles me semblent très nombreux, on pourrait en ajouter beaucoup d'autres. Je veux surtout souligner combien cette classification me semble objectivante et réductrice, et partager mes inquiétudes quant à l'intension qui est visée.
Tous les témoignages du forum invalident cette idée défendue par Chambon que "les drogues produisent des effets semblables chez différentes personnes ou chez une même personne à différents moments". Au contraire, la clinique semble plutôt démontrer que les effets varient selon les personnes et les moments, et ce, quelle que soit la substance.
Si il fallait absolument faire des psychédéliques un médicament, je les rangerais dans la catégorie des "produits de contraste". Parce que j'ai l'intuition que c'est l'effet de contraste avec la réalité ordinaire qui fait le potentiel révélateur du produit, et pour souligner que le bénéfice thérapeutique ne provient pas de l'expérience psychédélique en elle-même, mais de son interprétation/intégration dans le vécu du sujet. Ca permet d'insister sur la primauté de la subjectivité dans les progrès attendus, et de minimiser la dimension thérapeutique de l'effet psychotrope à lui tout seul.
Mais ça ne changerait rien à la structure logique qui est déployée. Je suis trop gentil en critiquant les "3 familles", et en y ajoutant une 4eme. Parce que pour Chambon, ce n’est pas 3 familles, c'est 2 familles + 1. Le +1 étant les "modificateurs de conscience". Trop précieux pour se mêler aux 2 autres pesteux, les "ralentisseurs/sédatifs" et les "accélérateurs/stimulants". C'est une dialectique de l'exclusion. Je suis sûr que mes amis champis, qui poussent entre les bouses de vache et les crottins de chamois, ne font pas tant de chichis.
b/ Ensuite, cette idée de sortir les psychédéliques de la catégorie infamante des "drogues", pour lui réserver la catégorie noble des "médicaments", me semble elle aussi mal fondée cliniquement, et refléter un parti pris moralisateur. Que Chambon soit un psychiatre/psychothérapeute sincère qui tente cette opération dans le but politique d'obtenir le droit d'exercer ne rend pas l'idée moins gênante.
Mal fondée cliniquement, car nous avons de nombreux témoignages sur les effets thérapeutiques positifs des drogues. Par exemple, les bénéfices que certaines personnes peuvent tirer de la cocaïne ou des amphets ne sont plus à prouver. On a aussi des personnes qui utilisent les opiacés comme anxiolytiques ou comme antidépresseur. Ou de la 3MMC. C'est également le cas pour l'alcool, etc.
Le fait que ces substances peuvent exposer à des surdoses ou à une perte de contrôle de la consommation ne suffit pas à effacer les bénéfices qu'elles peuvent apporter, et à les disqualifier comme médicaments. Par exemple, on peut tomber dans un usage incontrôlé des anti-inflammatoires face à certaines douleurs musculoarticulaires, abuser des antitussifs quand on a une bronchite chronique, etc. Les produits en question doivent-ils être exclus de la famille des médicaments ? Leurs effets thérapeutiques positifs doivent-ils être oubliés ?
A contrario, certaines expériences psychédéliques tournent mal, et peuvent exposer les personnes à des conséquences psychiques négatives, à court, moyen ou long terme. Et ce, même si on sait repérer les symptômes ou les discours de structure psychotique en amont, et qu'on les exclut des expériences. La préparation au trip, la possession de benzos voir de neuroleptiques, l'accompagnement par un thérapeute ou un trip sitter expérimenté, ça permet de réduire le risque, mais certainement pas de l'exclure totalement. La possibilité d'un impact thérapeutique négatif ne doit pas être balayée d'un revers de main, même en définissant des indications et des contre-indications strictes.
On ne peut pas non plus sortir les psychédéliques du lot en se basant sur la quasi-impossibilité de surdose. D'abord, parce que Chambon inclut aussi la Kétamine et la MDMA dans les psychédéliques, et que des surdoses sont possibles avec ces produits. Ensuite, parce que même en ne considérant que la psilocybine et le LSD, qui peuvent difficilement causer de graves problèmes physiques, on ne peut pas balayer comme ça les conséquences d'une "surdose psychique". Quid des malheureux qui essayent 4 buvards de 250ug pour leur première prise ? On ne peut pas leur garantir que les effets négatifs s'arrêteront avec le trip, et qu'il n'y aura pas de conséquences durables. Est-ce moins grave que des effets négatifs physiques ? Perso, je considère que le risque de surdose existe dans tous les cas, même lorsque c'est uniquement le psychisme qui est affecté.
Cette impossibilité du risque 0 me semble justifier de laisser les psychédéliques dans la grande famille des drogues, du moins si on tient à conserver cette catégorie. Parce que si on les rebaptise en médicaments au nom de la "sécurité pour l'organisme et l'esprit" et de "l'impact thérapeutique positif", on cache les énigmes et les paradoxes de la psyché sous le tapis, et tant pis pour l'ignorance ! On refait la même erreur qu'avec les Benzodiazépines, les Neuroleptiques, et les Antidépresseurs. On fait appel à l'imaginaire collectif du médicament pour en faire des produits miracles, on leur place une auréole éblouissante au dessus de la tête, et on leur colle sur le dos des préjugés positifs aussi outrageusement simplificateurs que les préjugés négatifs dont sont accablés les autres drogues. Au final, on nie la complexité de la psyché, des situations, et de la subjectivité des personnes. Et ça ne me semble pas un bon début pour soigner la souffrance psychique. Ca crée des attentes démesurées chez les personnes, chez leurs proches, et chez leurs soignants. Pour moi, c'est là que se trouve l'angle mort de la prise en charge psy aujourd'hui, beaucoup plus que dans le manque de molécules à potentiel thérapeutique. Je ne veux pas qu'on dise un jour "prends tes psychédéliques et ne cherche pas à comprendre", comme on le fait avec les autres médicaments psychotropes. Changer les psychédéliques de catégorie me semble donc créer plus de problèmes que ça n'en résout.
Assumer les psychédéliques comme des drogues n'empêche nullement de leur reconnaître un intérêt thérapeutique ou spirituel. Le rapport bénéfices/risques ne peut pas être apprécié en fonction de la seule substance, sans prendre en compte la personne et le contexte. Ce qui sera un traitement salvateur pour certains sera destructeur pour d'autres. Et on ne pourra jamais prédire le résultat à l'avance et le garantir sur la notice du médicament. Classer les psychédéliques dans les médicaments, c'est en faire un contrat d'assurance avec ses clauses en petits caractères. Je préfère, et de très loin, qu'on revalorise les drogues et qu'on les légalise, en tant que telles.
Parti pris moralisateur, parce que j'ai l'impression que Chambon est si passionné de psychédéliques, qu'il veut les sortir de la catégorie des drogues juste pour crédibiliser sa démarche vis-à-vis des préjugés ambiants et de la morale dominante. Ce faisant, il les renforce. On dirait qu'il se sent obligé de montrer patte blanche pour que ces idées soient mieux acceptées par communauté médicale. Mais c'est perdu d'avance, à partir du moment où il affirme que la dimension objective est un produit de la dimension subjective, et non l'inverse, et qu'il ajoute que c'est l'esprit qui crée la matière et non l'inverse, c'est mort : la grande majorité de la communauté médicale et scientifique ne voudra plus jamais entendre parler de lui (c'est ma boule de cristal qui le dit^^, et je n'approuve pas du tout cette ostracisation, je ne fais que la constater).
C'est un mauvais calcul. Parce qu'en faisant ça, il plante un couteau dans le dos à toutes les personnes qui utilisent des drogues non psychédéliques. Ca l'amène à tordre les faits en ignorant les témoignages des personnes, et à valider certains préjugés qui nous oppressent. Je ne pense pas que ça soit son but, je pense qu'il se tire une balle dans le pied en faisant ça. C'est d'autant plus paradoxal et fâcheux que le monsieur semble par ailleurs accorder une grande valeur à la subjectivité et à l'empathie. Perso, pour parvenir aux mêmes fins, je préfère revaloriser la drogue, ou me débarrasser de cette frontière entre le médicament et la drogue. Ca n'enlève rien au potentiel thérapeutique des psychédéliques, mais ça évite de se fermer à celui des autres drogues, et de stigmatiser ceux qui les utilisent, que ça soit dans un but thérapeutique ou récréatif.
En résumé, je lis ce passage sur les drogues comme une théorie compliquée pour rationaliser un jugement de valeur. Un jugement qui ne s'assume pas. Et je ne trouve pas ça rassurant. J'ai peur qu'il croie vraiment à ce qu'il raconte. Ca me rappelle ce que j'entendais en teuf. Cette espèce d'anoblissement des psychédéliques, cette idéalisation par rapport aux autres drogues, qui finit toujours par déraper vers le mépris de ceux qui les utilisent. J'ai aimé le monde de la free, mais ça, ça m'a toujours fait grincer des dents. Tu vas me dire que c'est banal, qu'on voit ça partout, et que ça ne nécessitait pas tout un développement. Ben si.
Parce que là nous parlons d'un psychothérapeute. Parce qu'il forme d'autres psychothérapeutes. Et qu'il semble jouir d'une certaine popularité dans le milieu psychédélique français. Chambon, c'est déjà une autorité symbolique. Sa parole compte.
Et parce que "le traitement des toxicomanies à l'alcool et aux opiacés" fait partie des indications pour les thérapies assistées par les psychédéliques.
On parle donc d'un thérapeute drogué, qui soigne en utilisant de la drogue, des personnes droguées. Mais lui il préfère se penser en thérapeute complètement clean, qui soigne avec des médicaments, des personnes toxicomanes. Il se place en surplomb. Si il a de telles idées en tête quand il reçoit des gens qui utilisent d'autres drogues que des psychédéliques, ben il doit avoir bien du mal à s'ouvrir à la subjectivité de ces personnes. Et un thérapeute qui est fermé au discours de ceux qui se confient à lui, et ben ça peut être dangereux. Et je pèse mes mots en écrivant ça. Je ne remets pas en cause sa bienveillance, mais je suis un peu inquiet quant au travail qu'il a fait sur lui-même. Sortir des trucs comme ça, de la part d'un thérapeute centré sur la subjectivité, ça le fait vraiment pas. La seule bienveillance ne suffit pas. Là, il nous enfonce pour mieux nous soigner. Et ça me rappelle quelque chose...
II Sur la définition du terme "drogue"
Maintenant, passons aux choses sérieuses : place à la subjectivité la plus totale...
Dans nos échanges où je t'annonce que je vais contester le retrait des psychédéliques de la catégorie "drogues", tu me réponds en me demandant quelle définition on doit choisir pour en débattre, et en me faisant valoir que "médicaments" se dit "drugs" en anglais.
Je pourrais esquiver et te répondre que pour moi, si ça a un effet psychotrope, c'est une drogue. Donc les psychédéliques sont des drogues. L'alcool est une drogue. Les benzos, les antidépresseurs et les neuroleptiques sont des drogues.
Mais je veux être honnête, et j'apprécie ton exigence. A ce point de notre échange, je ne peux pas me débiner, donc je me dois de te répondre le plus sérieusement du monde, et de tout mon poids : aucune définition !
Ou toutes les définitions, si tu préfères.
Y compris celles auxquelles on ne pense pas d'emblée. Y compris les totalement impensables. Surtout celles-là même. Parce que c'est là que se trouve le réel. Dans l'impensable. Si ça se pense, si ça se comprend, c'est que t'es en train d'imaginer. Ce que tu penses, c'est la dimension de l'imaginaire. Le réel est ailleurs. Quand tu crois avoir compris, tu as sûrement tord :) Moi aussi hein ! On en est tout là... La carte n'est pas le terrain, une figure géométrique est toujours fausse, et le destin de toute théorie est d'être réfutée !
Quand je veux vraiment être sérieux, pour les sujets importants, je me méfie des définitions. Elles sont toujours trop définitives, leurs finitions sont trop parfaites, trop entières, trop artificielles, trop fermées, trop limitées, trop menteuses, illusoires... Je leur préfère des indéfinitions, ou des infinitions. Quoi, ça existe pas ?! Ben faut les inventer.
Je me refuse à définir le terme "drogue". Dans ce commentaire, je parle de la drogue en tant que signifiant. Je parle de ce qu'on entend quand le mot est prononcé. Et de l'effet que ça fait de l'entendre. C'est très vaste...
Ce son à déchiffrer, cette énigme à résoudre.
Tu te rappelles de la première fois que tu l'as entendu ?
Pas seulement la matérialité sonore du mot, mais au-delà. Je parle de la puissance évocatoire et invocatoire du terme. C'est comme Beetlejuice, à peine tu invoques son nom, elle est presque là. Et même si elle n'est pas là, c'est son absence qui la remplace. Tu cases le mot dans 3 phrases en public, et tu verras de quoi je te parle. Mais tu connais déjà. Tout le monde connaît ici. Quand les gens "clean" (quel joli mot) commencent à parler de untel "qui se drogue", en son absence. T'as déjà remarqué ce qui se passe ? Tu sais, cette impression que la terre va s'ouvrir en deux et que celui qui porte la marque du démon va disparaître dans un nuage de soufre. Ou emporté par un torrent de fausse compassion dégoulinante de moraline puante. Ou nié, ignoré, bâillonné, invisibilisé par les autres dans un silence morbide et interminable. Ou encore brûlé au bûcher par la colère fulgurante, avec ses cortèges d'insultes, d'accusation de mensonge, de manipulation ou de trahison. C'est selon les personnes et les moments... La drogue en tant qu'elle ne laisse personne indifférent. En tant que mot qui rend fou.
La drogue, perçue comme pacte avec le diable. Le dragon à deux têtes, paradis artificiel et panacée pour l'une, enfer et damnation pour l'autre. Ce mauvais génie dont on peut faire notre allié, pourvu qu'on apprenne à l'apprivoiser sans se faire dévorer. Ce cristal aux multiples facettes dont les dictionnaires nous somment de n'en gober qu'une seule à la fois. Ce dieu disputé, que chacun veut s'approprier, ce médicament excommunié par la médecine, que la bourgeoisie veut capturer en le transformant en marchandise, et que les inquisiteurs veulent exorciser en le prohibant. Ce rave qui nous relie, ce rapport social médiatisé par le produit. Cet écho sulfureux qui part des caniveaux pour remonter jusqu'aux plus hautes sphères du pouvoir. Ou l'inverse. La drogue aussi bien comme phénomène social, que comme représentation individuelle et subjective. Du rêve à l'angoisse collective. La drogue en tant qu'objet de désir et fantasme intersubjectif. De la source de tous les maux à la dernière lueur d'espoir et de réconfort. La drogue en tant que désir bancal, indicible, et ininterprétable. La drogue comme concept qui nous échappe toujours un peu, mais auquel il faudrait juste dire non, il parait... parce que c'est comme ça. Comme si c'était toujours possible ! Ou même souhaitable !
J'essaye de te faire sentir, avec mes maigres moyens, toute la richesse du signifiant drogue. Quelqu'un d'autre écrirait autre chose. Et même si on s'y mettait tous, on n'arriverait pas à épuiser le sujet. Cette richesse, on la perd en la rebaptisant médicament. Le sens qu'on donne au mot drogue ne change rien à l'opération qu'effectue Chambon en en excluant les psychédéliques. C'est une opération frauduleuse, un abus de pouvoir symbolique. Et le pire, c'est qu'il le fait sûrement en toute sincérité.
C'est très perso, mais je ne veux pas qu'on exclue les psychédéliques de tout ça, ni du reste. La drogue, c'est un signifiant primordial pour moi. Et ça l'était aussi pour des amis chers qui ont vécus pour ça, et qui sont morts avec ça, et non pas à cause de ça. Ce mot, je me dois de lui rester fidèle, et de le défendre bec et ongle. Sortir les psychédéliques du groupe des drogues, c'est les dévaloriser, les trahir, c'est comme les balancer aux keufs, c'est capituler pour espérer triper tranquille. Jamais ! J'te sors toutes mes tripes là. Je ne veux pas troquer la richesse et la complexité de la drogue contre la simplicité de façade et les fausses promesses du médicament. La face obscure de la drogue n'a rien à envier à celle du médicament. Il n'y a rien à gagner. Et tout à perdre.
Ne reculant devant rien, je m'autocite, parce je trouve qu'il y a un certain à-propos.
Dans un trip report hallucinant, qui semble décrire une dépersonnalisation radicale :
Morning Glory a écrit
(...)
je ne percevais même pas la signification de ces mots en fait. C'étaient comme des sons dépouillés de tout sens.
(...)
Pesteux a écrit
Ca me parle ! Tu t'es jamais fait la réflexion que c'est ce qu'on vie à notre naissance ?
Quand on entre dans le langage, un mot c'est D'ABORD un son. La signification vient ensuite, on se l'imagine et on le plaque sur le son. Sans consulter le dictionnaire ou demander une définition à nos parents évidemment. Ces choses-là ne viennent que bien plus tard. Les mots les plus usuels, personne ne nous en jamais donné de définition. Ca me donne le vertige. Apprendre à parler, c'est structurer des mots insensés en phrases, comme les notes peuvent être structurées en une mélodie. Si ça sonne faux, le jeune artiste se fait tej à coup de bâton, et il essaiera de faire mieux la prochaine fois. Mais alors, d'où ça vient le sens ?
J'ai pas la réponse évidemment...
Par mon objection, je ne défends pas une molécule particulière, ni un effet psychotrope particulier, je défends un signifiant, et tout ce qu'il convoque. C'est ça qui s'entend, c'est ça qui se dit, c'est ça qui fait parler, c'est ça qui fait vibrer, donc c'est ça qui compte : c'est ça qui fait agir et qui fait réagir. Je suis convaincu que si on lâche sur ce signifiant "drogue", les molécules resteront la propriété du maître, qui continuera de nous les interdire ou de nous les imposer selon son bon vouloir, ses croyances à la con, et sa conviction inébranlable de savoir mieux que nous même. Si on lâche sur ce signifiant "drogue", on continuera à ne rien vouloir entendre de la dimension subjective, et à réduire les personnes à des réactions biochimiques objectivables.
Tu pourrais me dire : "mais alors, t'aime le signifiant drogue, et tu détestes cette logique drogue/non-drogue ?".
Et je te répondrais : "c'est pas une contradiction, c'est de la dialectique !"
Evidemment, si je fais de la politique, si je prépare un poison pour le pouvoir, je le structure dans son langage à lui, je reste raisonnable et cartésien pour que ça passe inaperçu. Bien sûr, si je veux demander des subventions à monsieur le maire, ou une autorisation d'exercer à monsieur le ministre, je parle un autre langage que celui que je te tiens aujourd'hui, je n'essaye pas d'exalter ma subjectivité, je la tais, je courbe l'échine, je m'adapte. Et si j'étais Chambon, peut-être même que je me laisserais aller jusqu'à prétendre que les psychédéliques ne sont pas des drogues, en m'appuyant sur les préjugés les plus courants, soi-disant objectifs, rien que pour avoir le droit d'exercer, et aider ceux qui le souhaitent. Ca se comprend. La fin justifie parfois les moyens. Il faut savoir parler le langage du pouvoir, car il ne s'abaissera pas à écouter le nôtre.
Mais je ne suis pas Chambon. A qui adresse-t-il son livre et ses interventions publiques ? Parle-t-il au pouvoir pour l'hypnotiser ? Ou bien parle-t-il à des thérapeutes en formation pour les instruire ? Ou encore aux âmes en peine pour leur donner de l'espoir ? Quel désir mobilise t'il à travers cette logique d'exclusion ? Pour qui bat son coeur ? Pour qui sont ses épines ? Je ne l'ai pas encore assez écouté pour avoir l'impression de le déchiffrer. Quelques désaccords, même profonds, ne m'empêcheront pas forcément d'y trouver inspiration. C'est très riche ce qu'il raconte. J'aimerai bien en savoir plus... En attendant, qui aime bien châtie bien !
PS : Je suis apparemment destiné à poster mes pavés les plus perso et les plus travaillés sur le blog des autres. Je squat ton blog comme j'ai fais avec celui de MG. Encore une fois, c'est très gênant ça. Mais c'est parce que pour moi, "l'inspiration vient toujours des autres". Merci de m'avoir lu.
Ergot des Aigles a écrit
J'ai décidé de me lancer dans une petite série de rédactions en plusieurs volets sur l'usage des psychédéliques dans le milieu médical.
Merci pour ce travail de vulgarisation qui permet à tout le monde de voir ce qu'il se passe avec les psychédéliques.
Pesteux a écrit
I. Sur la classification des drogues et médicaments
Néanmoins je ne suis au combien pas d'accord avec l'auteur. Je m’apprêtais à faire un post de commentaire, quand j'ai vu le texte de Pesteux... qui traduit totalement ma pensée.
Chambon est totalement dans la reproduction du stigmate sur les drogués en disant que les psychédéliques ne sont pas des drogues. Il essaie d'en faire des médicaments miracles, en enfonçant les autres drogues. Et c'est ce qui me gène parfois dans ce milieu de la révolution psychédélique...
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