Hier, premier jour de vacances j'ai touché le fond.
A mon arrivée rien ne s'est passé comme prévu. D'habitude ça ne me dérange pas et je m'adapte sans trop ronchonner mais là j'étais au bout du rouleau.
Je lui en ai voulu, c'était vain, s'il a les nerfs fragiles et le sens de l'orientation d'une boussole démagnétisée, ça n'est pas de sa faute, il est comme il est.
Il avait fait mauvaise route, il était tendu, il avait failli se payer un bus et il était stressé. On s'est calmé tous les deux sur l'autoroute, j'avais les larmes aux yeux, je m'ecroulais à l'intérieur mais j'ai pris sur moi, c'était le premier jour des vacances, je voulais que ça se passe bien.
On est arrivé à la maison, j'étais un peu sonnée mais je n'ai rien laissé paraître, j'ai fais bonne figure devant tout le monde, prétextant la fatigue pour justifier ma mine déconfite.
J'ai vaguement défait ma valise, mangé un morceau et on a décidé d'aller à la plage.
On est allé sur les rochers, dans notre coin habituel. Rien n'est plus apaisant de que la mer qui découpe le paysage, le ressac, les mouettes qui braillent et un endroit familier.
On était bien.
J'en ai profité pour discuter de drogue, licite ou pas et faire bouger un peu sa vision des choses. Il fume de la
weed et boit de l'
alcool régulièrement, ça n'était pas si difficile de le convaincre que l'
alcool était une drogue comme une autre, l'addiction une fonction cognitive et que la prohibition n'était que la cicatrice moraliste d'une culture religieuse, niant jusqu'à l'animalité de l'humain, prônant l'abstinence et rejettant le plaisir. On était plutôt d'accord, on a rigolé et râlé à propos de notre cher président qui semblait avoir un problème avec les UD, entre l'arrêté du 12 Juillet et la limitation du
baclofène, les addict.e.s semblent être persona non gratta dans la société soit disant neuve de notre président soleil.
Je me suis dit que, si je lui parlais de mon addiction plus tard, il serait moins prompt à me juger après cette conversation.
Puis j'ai craqué à nouveau, un peu plus tard dans la soirée, pour une contrariété qui n'en était pas une. Je me suis enfermée et j'ai pleuré sans faire de bruit. Je n'arrivais plus à écrire. J'étais vide. La pulsion de mort était immense mais ayant appris à la transformer en envie de ne plus exister, j'avais envie de marcher, marcher sans plus jamais m'arrêter.
J'suis restée enfermée dans ma piaule, j'ai compulsivement ouvert des pages internet sans en regarder le contenu. Je ne trouvais aucune idée réconfortante dans ma bibliothèque mentale, j'étais très agitée. On m'a appelé pour dîner. J'étais pâle et tremblante mais personne n'a rien dit.
On a dîné tous ensemble, j'ai refusé l'
alcool et je n'ai pas pris plus de
codéine que prévu, malgré l'envie pesante de vouloir tout arroser.
Vers 1h00, je me suis écroulée de fatigue.
J'ai dormi jusqu'à 8h00 ce matin, ça ressemble à une nuit de sommeil.
Ça va aller maintenant.
Je me suis vue ce matin dans le miroir. Je sais pourquoi je ne supporte plus ma gueule. Je ressemble physiquement beaucoup à ma mère.
C'est tellement difficile pour moi de parler de ma mère, le tabou familliale autour de son alcoolisme a rendu le sujet indicible. Aujourd'hui qu'elle n'est plus alcoolique les langues ne se sont pas déliées.
Seule ma soeur m'en a parlé, je sais qu'elle a conscience qu'ils m'ont laissée, alors que j'étais adolescente, porter ce fardeau seule. Mon père n'était presque jamais à la maison en raison de son travail et ma soeur faisait ses études loin. J'ai relevé ma mère souvent et l'ai aidé à aller se coucher. Je me rappelle de ses mains qui tremblaient, de son premier verre de vin à 11h00 du matin. Je me rappelle de la honte que j'éprouvais quand elle remplissait le caddie de vin en bouteille plastique.
Mes parents ne sont que des êtres humains et je ne leur en veux pas, ils ont fait comme ils ont pu avec les moyens du bord. C'est ce qu'on fait tous.
Moi aussi je joue avec les cartes que j'ai reçues et je n'ai jamais jeté la pierre à aucun membre de ma famille.
Je ne souffre pas d'un oedipe mal résolu, ma mère je l'aime, mais je ne veux infliger la souffrance qu'elle m'a infligée, malgré elle, à aucun de mes proches. Mes addictions sont silencieuses et invisibles mais je maintiens aussi le tabou en ne leur en parlant pas.
Aujourd'hui ça va mieux, j'ai touché le fond hier, je reprends mon souffle ce matin. J'entends le ressac, le vent dans les pins maritimes et les tourterelles qui roucoulent, ça m'apaise.
J'ai pris un vrai petit déjeuner. Il est midi et je n'ai encore rien fumé, ni même vapoté ce matin.
Ça va aller maintenant. Bien, je ne sais pas, mais mieux, oui, sans doute.
«Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l'air, une tache livide.
Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux,
Sur la gloire un instant j'osai fixer les yeux :
Un point noir est resté dans mon regard avide.
Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s'arrête mon oeil,
Je la vois se poser aussi, la tache noire !
Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !
Oh ! c'est que l'aigle seul - malheur à nous, malheur !
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.»Gérard De Nerval.