Au centre d'un rond-point verdoyant et fleuri, à l'ombre d'une structure en bois, j'étais hors du temps, hors de moi, couverte de vomi. Des voisins ont du appeler pour faire venir le SAMU, on me l'a appris, comme une honte supplémentaire dont me parer. Un flash : mon premier souvenir, trois hommes en noir avec une bande horizontale rouge s'approchent. Une bouteille d'eau, des mains qui m'arrosent la tête. Transfert à l'hôpital, je suppose, je n'ai aucun souvenir. Zero.
Trou Noir de chez Noir.
C'était un 27 juillet, j'ai fait (plutôt que fêté) mes 15 ans le 3 aôut suivant. J'étais encore vierge ce matin là .
Nous étions une bande de quatre filles et cinq types. Dont mon meilleur ami G et sa copine E. Ma meilleure copine S et moi avions chacune un speedake Peugeot, elle un rouge et blanc, moi un bleu métallisé, vite rebaptisé cercueil par mes pairs. Les 5 types, tous entre 2et 3ans de plus que moi, avaient eux aussi tous un engin. L'oncle de B avait le garage à deux roues en face du collège, B, je vous en reparlerais. On buvait, on fumait des
joints et on tirait des
bangs. J'étais la seule à être bonne en cours et à rentrer en seconde générale, au lycée accolé à notre collège à la rentrée de septembre, eux étaient soit empêtrés dans les redoublements, soit déjà engagés dans des filières techniques. Nous « squattions » ensemble depuis 3ans. Premiers baisers, premiers
joints, premières cuites, premiers murs pour aller en boÎte, le tout ensemble, surtout avec S dont les parent étaient bien plus cools et me couvraient pour tout. « Oui Mme A-S, Votre fille dort à la maison, on la garde pour déjeuner elle rentrera demain après midi ». Pendant ce temps, les mères au téléphone, on était à l'apéro avec le cousin et ses copains avec qui on passerait la soirée en boÎte en Espagne. Un exemple vers mes 13ans. Nous étions proches, S et moi, c'est ce qu'il faudrait retenir.
Une matinée d'été dans le Sud comme bien d'autres. De la bande ce matin il restait S et moi pour les filles, et tous les mecs sauf GB.
Soit B, F, A et GO. La tante de B ne serait plus là à partir de 13h, ils avaient fait le plein de « shime ». On est partis manger au Mc Do en attendant d'être sûrs que Tata avait laissé le champ libre. On se gare, dehors je précise. B et A partent devant on les rejoint.
A l'époque je ne mélangeais pas
alcool et
joints. Enfin j'évitais depuis que le jour de l'an précédent j'avais vomis sur ma conquête de la soirée (qui était dans la même classe, et avec qui j'aurais une histoire plus tard, quand il est devenu mannequin et sdf) au moment qu'il croyait crucial pour nous 2.
Nous étions bien là , tous les 6, à boire comme des trous. Mais du peu que je me souvienne, c'était le plan des mecs, leurs
alcool, l'appart de la tante de B, et eux qui insistaient pour que je sois le plus alcoolisée possible. Au point que S me dit « pas grave, tu resteras chez moi ». Les réactions de ma mère sont terrifiantes, encore aujourd'hui.
Mon dernier souvenir était sur la terrasse. B m'apprend à frapper des Tequilas sans verre. Ca consistait à me faire avaler une gorgée de Teq, une de Schweppes, garder dans la bouche et secouer la tête le plus violemment possible 2-3 fois avant d'avaler. J'essayais de prouver que je savais suivre les marques du carrelage (genre je gère), je me rappelle marcher en crabe et arriver à les suivre une sur deux mais être fière de moi quand même.
Black Out.
Seule sur un rond point en pleine canicule. Coma éthylique. J'ai été raccompagnée chez moi en chaise roulante dans les escaliers, s'il vous plaÎt. Souvenir de ma mère qui me demande pourquoi de son éternel air horrifié « Qu'est ce que ma fille M'a ENCORE fait à MOI ».
Je répétais « Tout oublier, Tout oublier ».
Alors, oui, j'ai un traumatisme d'enfance ( plusieurs en fait) qui pesaient déjà lourd, mais ces mots n'ont pris leurs sens que des mois plus tard.
La nuit où je suis sortie de ma léthargie je ne comprenais rien à ce qui avait pu se passer. Je croyais avoir eu un accident de scooter. Mon 501 posé sur la chaise était lacéré d'au moins 4 déchirures horizontales béantes toutes effilochées. J'étais couverte de bleus et de peau râpée-crôutée. J'enlève ma brassière à rayures marinières et petits boutons sur le côté d'une manche… et là stupeur et tremblements… Mon soutien gorge Dim dernier modèle tout neuf en satin crème avec un ruban au centre en zigzag est couvert de vomis. Il est sous mon tee shirt et il est couvert de vomis???? Ma culotte est bizarrement mise mais je refuserais de m'en rappeler pendant plusieurs années. Mes cheveux (bouclés volumineux et indisciplinés à la
base) sont cartonnés, ils ont manifestement trempé dans ma gerbe. Mais mon casque Bieffe violet est intact. Pas de planton? Et mon scout est en bas avec une tache de vomis visible depuis mon balcon
Putain mais que s'est il passé???
Je rassemble mes flashs sous la douche. Il y a le rond point et les men in black avec leur camionnette, ok, moi dans une chaise roulante dans mes escaliers en train de me prendre un coup. Ma mère qui me secoue « mais qu'est ce que j ai fait pour mériter ça » et moi qui lui répond « juste tout oublier ».
Ne pas faire un bruit, ma mère va me renier, hurler, criser etc autant partir discrètement, il doit être 6h du matin. J'attends sous la fenêtre de chez C la boulotte du groupe qui n'était pas là cette fameuse après-midi qu'elle se réveille et me raconte ce qu'elle sait de ma mésaventure. J'ai le temps d'inspecter mon scooter. Couvert de tâches vertes, des restes de Get 27 et des TGV qui me donnent vraiment la nausée.
Les questions s'enchaÎnent mais je ne veux pas connaÎtre la réponse. Je trouve fort que mon scooter soit rentré tout seul. En fait c'était mes potes. Attentionnés, ils ont même gerbé dans la rue histoire de signer. Heureusement qu'ils ont pas abÎmé mon 2roues tout neuf et tout bleu.
Et cette histoire de vomi sur mon soutif. Premier flash/Vérite : Je suis allongé sur du béton, je sens les mains d'un type qui me soutient la tête sur ces genoux pendant qu'il me pelote les seins, ça c'est L, A est au dessus de moi, un autre B regarde devant en n'étant pas bourré (et s'il n'y avait qu'un seul coupable pour moi ce serait lui) et sort une capote. S lui dit « Fais gaffe elle est vierge » Pendant qu'elle roule une pelle à GO et … elle se casse. Moi je suis complètement inerte.
Autre flash, Mais qui se passe chronoliquement plus tôt, Les 4 mecs, surtout B, le seul en état de réfléchir, décident qu'il faut descendre par le parking en sous sol. Et là j'ai compris l'état de mon jeans, n'arrivant pas à tenir sur mes pattes, ma
descente fut chaotique, certains m'ont retenue d'autres m'ont laissée dévaler. J'ai fait 4étages comme ça. Souvenir du bas des escaliers, A me roule une pelle je tourne la tête pour vomir par-dessus bord.
C ouvre ses volets, j'attends un peu et viens frapper. Elle est étonnée de me voir, que j'ose encore me montrer après ce qu'il s'est passé. Mais quoi putain? Qu'est ce que J'AI fait de si grave??
« Tu t'es tapé les 4 en même temps »
Voilà comment l'histoire a tourné, j'étais devenue la pute de la bande, le jour même mon copain de l'époque (avec qui je n ai jamais couché, puisque jamais fait avec personne avant ce jour dont je ne me rappelle pas) me largue par son meilleur pote qui ne sachant rouler s'encastre dans la cabine téléphonique d'une gendarmerie avec mon scooter, complètement mort pour le coup. Entre temps je suis aussi rentrée dans un bus sur la route des plages, les flics m'ont relevée (je suis restée 20min au milieu de la circulation la cheville- cicatrice à vie- coincée sous le scoot trop lourd) en me disant de prendre un bain de mer pour virer le sang et qu'il y paraÎtrait pus rien. En sang, mon scout neuf esquinté et n'osant croire à toute cette histoire, je suis retournée traÎner avec mes bourreaux. Juste cette foutue après midi où je reculais l'affrontement avec ma mère. Il s'est surtout limité à l'état dans lequel j'avais mis mon scooter. " Autant donner du lard aux cochons". Voilà , après j'ai refusé de mettre un pied dehors jusque me rentrée au lycée, où j'ai changé de fréquentations. Je m'empiffrais et me faisais vomir toutes les nuits, à défaut de parler, j'arrivais à me vomir. C'était déjà un soulagement. Avant ça j'étais anorexique restrictive, toujours la même, troquer une dépendance contre une autre.
Avec l'âge je me pose certaines questions sur notre chère fonction publique entre autres.
Pourquoi n'ont ils pas envisagé aux urgences, alors que j'étais jeunette et proprette, que je m'étais pas fait ça toute seule? Un kit de viol? Une prise de sang pour prouver que j'ai pas pris de drogue à ma mère au moins? Même à l'insu de mon plein gré? Attendre mon réveil que je puisse expliquer quelque chose d'autre que "Tout Oublié/Oublier"? Le SAMU ou les voisins ils ont pas trouvé étrange que je sois arrivée toute seule sur mon rond point? Personee s'est demandé comment mon scooter est rentré tout seul? Et pourquoi on s'est fait chier à me le ramener si ce n'est par culpabilité? Même pas un signalement de l'histoire aux flics? Et ceux qui m'ont ramassée vautrée en état de choc ( au loin de m'être pris un bus qui m a même pas sentie) sur une 4voies, ils se sont pas dit que j'avais l'air franchement paumée? Ou que ça pourrait intéresser quelqu'un de venir me chercher, sans que je courre le risque supplémentaire de me tuer à conduire en sang?
Quelque chose qui aurait pu appuyer ma parole si j'avais voulu parler.. Si j'avais trouvé à qui parler...
J'ai fini par vendre mon corps puisqu'il leur appartenait déjà , au moins j'ai vendu chèrement un corps qui n'a jamais été à moi, c'était aussi un moyen de capter l'amour inconditionnel de mon père pour ses putes, toujours du même âge ou plus jeunes que moi, qui m'ont remplacée dans son coeur depuis le jour où la vie nous a écartelés. J'avais dix ans, 23 le jour où je l'ai revu dans un aéroport. J'étais déjà devenue escort pour arriver au bout de mes coûteuses études. Ma famille est riche et pleine de relations, mais le mal était fait. Et au jour d'aujourd'hui je ne parle plus à mon géniteur. C'est une autre histoire, mais cette dernière explique un peu mieux la mienne. Et le distinguo que j'ai vite appris à faire entre moi et mon enveloppe, histoire de pas me détester de trop. Mon corps, c'est juste pas moi. Ca résout des conflits même si c'est un peu schyzo comme position
Je n'aurais jamais cru pouvoir écrire là dessus, tellement c'est loin et tellement c'est digéré, pourtant ça n'a jamais été raconté à un psy, tellement j'ai décidé que ça ne ferait pas partie de moi et tellement la culpabilité m'a suivie. Je n'ai pas vraiment d'émotions à ajouter à ce récit, j'ai juste mis ça le plus loin possible, le plus longtemps possible… Et j'ai appris à vivre avec.
J'ai voulu en parler une fois à ma mère à l'âge de 17ans, c'était le jour où elle a découvert que j'étais anorexique, et boulimique vomisseuse ( un drame d'avoir bouché l'evier, elle est maniaque de la propreté, sans ça elle serait passé à côté 5ans de plus). J'ai commencé à expliquer tu te rappelles du jour où j'ai fait un coma éthylique, on m'a fait boire, la suite je ne l'ai pas voulue…
« L'hôpital m'a bien dit que pour être dans cet état là il ne devait pas y avoir que de l'
alcool »
« Y avait rien d'autre » Vrai de vrai, je ne touchais à rien à 14ans et j avais été première de ma classe toute ma vie.
« Maman laisse moi te raconter »
« Si on se fout dans des états pareils, c'est qu'on l'a bien cherché ce qui est arrivé »
J'arrivais juste à envisager de formuler le terme « viol collectif » à voix haute. A leur faire payer, j'avais enfin intégré, j'envisageais même d'écrire cette fameuse lettre au procureur, je voulais « laver mon honneur » d'une certaine manière, ma mère a coupé court à tout ça. Fallait faire comme j'avais fait jusqu'alors : comme s'il ne s'était jamais rien passé.
J'ai essayé d'en reparler une fois à ma mère elle m'a traitée de menteuse. Et Dieu sait combien j'aime ma mère. D'où cette sorte de dualité en moi, quand j'écris cette histoire, pour la première fois, je me sens limite usurpatrice.
Est-ce que je l'ai cherché? est ce que c'était bien un viol? Est ce qu'on se reconstruire si quelque part on ne l'a jamais admis? Si on est même plus sûr que ça c'est passé? Si personne n'a jamais essayé de vous croire? Ma mère m'a refusé la réalité de cette expérience, qui d'autre m'aurait écoutée?
Prostituée et toxicomane... C'est ce que j'ai fait de ma vie, je suis certaine que cet événement y a été pour quelque chose, mais si j'essayais aujourd'hui de me confier, je sais que j'inspirerais le doute, l'incrédulité. Je sais que j'étais mineure, et il n'y a pas de prescription, je ne compte saisir aucune justice, mais si je le désirais, je pense que ce qi a découlé de ce jour, plutôt que servir mon argumentation la réduirait à néant.
Les gens préfèrent croire que vous n'êtes pas comme eux, qu'à eux ça ne leur arriverait pas...