Nous nous faisons face. Je viens de rentrer d’une longue balade sur le bord de mer ayant encore échoué à m’intéresser à mon avenir au lycée. Je ne suis même pas rentré en classe, planté en plein milieu du hall d’entrée de l’université, porté vers l’extérieur au moindre courant d’air. Je suis vulgairement sorti à la manière de l’eau qui fuit d’un tuyau.
Rien ne me parlait, je n’étais pas plus qu’un martien en visite sur la croûte terrestre. Ne pouvant décemment pas rentrer une heure après être parti de la maison, j’ai fait un tour et ici plutôt que de se balader dans des rues assez monotones, vous vous dirigez logiquement vers le front de mer. Temps couvert et pluvieux à Alprecht. La mer est houleuse, moutonnée de toute part, levée par un vent glacial du nord. A l’heure de la fin des cours, je retrouve ma place à la baraque, ainsi pour me réchauffer. Je passe dans la cuisine gratter du pain ou des biscuits. Ma mère est assise en train de prendre un thé. Etrange posture. Elle m’attendait, ce qui se vérifie à l’instant où je me le dis.
Allez viens on parle, dégaine-t-elle.
Cela n’est vraiment pas la meilleure manière de débuter une discussion. D’emblée vous êtes priés de rentrer en dialogue. Ce n’est pas réellement ainsi que je vois les choses. Aveu d’impuissance ou mise en échec immédiate. Je me sens mal d’un coup. Des nausées, du dégoût ou je ne sais quoi. Immobile, je la regarde. Elle me fait pitié. Suis-je semblable qu’elle ? Dans ce cas, pourquoi me paraît-elle si étrange, si loin ?
Mais maman tu ne vois pas que ça m’emmerde, que je n’ai rien à te dire.
Oui, j’ai des yeux encore. Je vois bien que depuis un an, tu m’évites, on s’évite même. Tu es tellement peu aimable avec moi …soupire-t-elle.
Je fais chier personne, je suis dans ma chambre.
Exact et c’est bien là le problème, tes absences. Que tu le sois ici, peu importe. Seulement, j’ai eu ton référent, il s’inquiète de celles-ci et les résultats ne suivent pas du tout. Il voudrait te proposer autre chose, plus concret, moins en classe.
Qu’est-ce qu’il a à m’emmerder celui-là ? Il ne peut pas s’occuper de sa classe. Si au moins il avait de l’autorité…Et puis qu’est-ce qu’il connait de mes besoins ?
Il est quand même ton réfèrent, il connait le milieu, il a certainement connu des jeunes dans les mêmes difficultés que toi.
Ah bon, on va lui donner la légion d’honneur au bon samaritain.
Et puis il y a quelque chose de délicat que je voudrais aborder avec toi.
…
Je ne veux pas te juger mais ton état parfois, tes sorties tardives. Je me demande ce qui les motive. Tu rentres parfois sans même considérer ma présence et tu es un peu zombie.
Je suis fatigué c’est tout.
Non, il y a autre chose, à mon sens plus grave. J’aimerais que nous puissions en parler.
Ah bon, et c’est quoi. Tu me surveilles, tu m’inspectes.
Je suis ta mère, j’ai un droit de regard et je dois veiller sur toi.
Laisse-moi rire, je ne vois pas de quoi tu parles.
Je t’ai vu aller derrière les barres du quartier, je sais ce que les gens font là-bas.
Putain mais t’es grave, tu arrêtes là tout de suite, je vais plier bagage et aller dans un foyer.
Tu vois on ne peut pas parler, je veux t’aider.
Donnes-moi cent balles alors.
Pourquoi faire ? Pour t’acheter de la drogue ?
Le mot est lancé déclenchant chez moi une colère monstre. Je vocifère et insulte ma mère de tous les noms, je ne devrais pas, je m’en veux quasi simultanément. Je la taperai même moi le docile, le gentil, le mec effacé dans sa vie. Mes poings sont serrés et ils cognent le mur. Je sens un courant électrique passé jusque dans mon bras, mon épaule, ma nuque. Ma main a craqué, j’ai dû me la péter. Le mur est lui enfoncé. A mesure que ma mère crie, m’enjoint de m’arrêter, je jette des objets et commence à monter les escaliers. Rien d’autre à l’esprit que de rejeter ce mot drogue, drogué. Malpropre, malvenu, inadapté. Ça m’expulse de ma maison, me rend étranger. Où est ma place je crie à corps perdu ? Au fond de la mer je me réponds aussi fort. Ma mère est blessée, les pleurs se déclenchent, elle a un genou à terre. Je ne la domine pas simplement parce que positionné sur le palier. Faut que j’arrête sans pouvoir y arriver. Comment penser être rejeté par sa propre mère qui déjà ne fait plus rien pour moi ? Ce n’est pas de cela dont j’aurais voulu parler. Encore une occasion de rater. La rage, la colère et la tristesse me submergent. Je brise une chaise sur le mur de ma chambre. L’envie de me barrer, de me tailler grand ouvert le bras.
Je percute mes membres, ma tête avec mes poings. On dirait un être ridicule qui se prend pour un gorille affirmant sa suprématie sur le groupe. Sauf que je me briserai bien les os, j’ai tellement envie de me faire du mal. J’ai si mal à l’intérieur. Mon Dieu je deviens fou, incontrôlable.
J’entends en bas ma mère passer un coup de fil. A qui elle appelle cette conne ? je dévale les escaliers quatre par quatre et lui arrache le smartphone du visage. L’écran indique le 18. Je hurle à la mort.
C’est bien cela, tu veux m’expulsais, que je foutte le camp d’ici, que je te laisse tranquille.
Il faut que tu te calmes. Qu’est-ce qui t’arrives ? Je ne te reconnais plus.
Tais-toi mais tais-toi, tu n’en sais rien, tu ne me connais pas, tu es complètement à côté de la plaque.
Alors dis-moi …
Je remonte vite et prépare un sac. Il faut que je sois dehors avant qu’ils n’arrivent. Elle a peut-être appelé les flics aussi. Pas envie d’être fiché, pas envie d’aller au poste. Pas envie d’aller aux urgences non plus. Envie juste d’une dose, d’être seul.
Je me projette dehors après avoir bousculé une nouvelle fois ma mère. Elle a tenté de me retenir vraisemblablement, en se protégeant également.
Mère, tu m’épies, tu me surveilles.
Non dis-tu, tu me veilles.
D’où me viennent ces craintes croissantes sur ton attitude ?
Est-ce depuis que je me drogue ?
Est-ce depuis que je ne me reconnais plus en toi ?
Et que lui, l’autre, mon père n’est plus là ?
Toi sans lui, ça ne colle plus entre moi et toi.
Seulement ça ne se limite pas à cela.
A défaut de se reconnaitre,
Je n’en suis pas neutre,
Et l’inverse se produit.
Toi que je dois aimer
Je me mets à te détester et à me détester encore davantage.
La mort frappe à notre porte car nous devrions.
Dois-je partir si nous ne retrouvons pas nos mots ?
Tu me veilles, ça ne me suffit pas.
La question n’est plus là.
(Ce récit est une fiction-réalité)
Antoine et Richard